Catalogo Foscarini Maestrie
197 Mastery 196 Maestrie l’entreprise et de lancer un signal clair au marché. La lampe Lumiere mise au point par Rodolfo Dordoni a représenté le manifeste de l’esthétique Foscarini et marqué une page importante dans l’histoire de l’entreprise. Le projet de Lumiere débute en 1990 en collaboration avec une entreprise appelée Vetrofond, qui venait de quitter l’île de Murano pour s’installer sur la terre ferme. Liée à la tradition du verre soufflé, Foscarini voulait déclarer son caractère contemporain en développant un projet capable de réunir la dimension poétique du verre soufflé et une technologie actuelle. L’idée se profile dans une esquisse informelle : un chapeau en verre soufflé soutenu par une base en aluminium moulé sous pression. De l’intuition au développement du produit, tout va très vite. Une fois sorti, le produit intègre les deux dimensions : la dimension artisanale liée à la tradition vénitienne et la dimension plus industrielle liée à l’usinage de l’aluminium. Le pendule – raconte Dordoni – oscille vers une esthétique davantage liée à l’utilisation de nouveaux matériaux. Foscarini propose une dialectique entre des mondes distincts, suggérant ainsi un équilibre original qui devient la marque de fabrique d’un projet à long terme. Vingt ans plus tard, Dordoni se penche sur le restylage de la lampe, l’occasion de développer une série de solutions innovantes, certaines n’étant destinées qu’à un public de niche. De nouvelles teintes, une nouvelle variante en verre miroir, de nouvelles proportions et de nouvelles lignes dans les modèles XXS-XXL. Il ne s’agissait pas de concevoir une nouvelle lampe. Le but était de garder le même objet, mais en déplaçant l’accent. Le pendule penche alors dans la direction opposée par rapport au projet d’origine. L’emphase porte alors sur le savoir-faire artisanal et sur la reconnaissance de la qualité que Vetrofond est à même d’exprimer dans ses processus de fabrication. Les raisons de ce choix dérivent des changements observés dans la sensibilité de la demande. Contrairement au passé, quand on s’intéresse à un luminaire, on recherche un produit qui affiche purement et simplement sa spécificité et sa matrice culturelle. Ce qui ne signifie pas forcément – comme le souligne Dordoni lui-même – des objets entièrement fabriqués à la main. « La demande prétend une fabrication capable de transférer une émotion, qui est souvent liée à des détails évoquant une production de type artisanal ». Tout est une question d’honnêteté : il s’agit de déclarer dans quelle mesure la fabrication artisanale contribue effectivement à la réalisation d’un produit donné et dans quelle mesure cette dimension peut être accessible à un œil éduqué. Une idée de qualité qui change Une autre idée de la qualité. C’est sur ce terrain que se joue l’important enjeu du design italien. C’est sur ce plan que l’Italie est appelée à développer sa propre idée de valeur. Pendant des années, les producteurs allemands ont représenté pour les entreprises italiennes la référence en ce qui concerne l’idée de qualité, entendue comme le strict respect de standards techniques. Pour de nombreux producteurs italiens du secteur, ce standard opérationnel est désormais atteint. Au salon du meuble de Cologne, les produits Made in Italy s’affirment maintenant sans crainte révérencielle. Mais l’entreprise italienne est appelée à exprimer quelque-chose en plus. Elle est appelée à promouvoir des objets d’une qualité supérieure, capables de transmettre une émotion, de communiquer la valeur culturelle du savoir-faire, de susciter l’empathie envers des styles de vie et des modèles sociaux. Comment dépasser l’idée de la qualité perçue comme une forme de standardisation et promouvoir un projet de qualité vécu comme l’amorçage de nouvelles relations sociales et culturelles ? Le débat n’est pas neuf. Certains de ces thèmes s’inscrivent dans la réflexion portée à la fin du XIXe siècle par le mouvement Arts and Crafts et qui a su traverser de façon plus ou moins visible tout le siècle dernier. John Ruskin et William Morris ont toujours imaginé que l’idée de qualité ne se limitait pas à respecter de simples paramètres exécutifs, mais qu’elle comprenait aussi la capacité à valoriser la subjectivité de celui qui produit un objet donné, de même que la possibilité de créer un lien vivace et intense avec la sensibilité et la culture du producteur. En imprimant sa marque dans la finition d’une gargouille, l’apprenti sculpteur d’un chantier de cathédrale gothique laissait une trace personnelle de son travail au sein d’un grand projet collectif. Et lorsque nous regardons aujourd’hui ces cathédrales, c’est tout un peuple en mouvement que nous revoyons, un ensemble de vies rassemblées dans un effort qui dépasse la valeur de l’individu mais qui le contient et le respecte en tant que tel. De la même manière, la production manufacturière italienne est appelée à témoigner du génie et de l’habileté de son savoir-faire dans la production d’une lampe, d’une armoire ou d’une cuisine. L’ensemble de la filière doit se montrer capable d’intégrer les marques de cette capacité d’expression et de les proposer au marché sous une forme compréhensible. Au concepteur revient la tâche en particulier de laisser une marge de qualité expressive, sans que cela ne nuise au système d’ensemble de la production d’un objet de qualité. Dans d’autres domaines aussi, cette exigence de qualité est devenue un aspect distinctif du produit. Dans le monde de la mode et du luxe, la référence à la dimension artisanale a été un levier pour justifier des majorations de prix parfois surprenantes. De grandes marques du luxe ont appris à communiquer sur la spécificité des compétences qui sont à la base de leurs productions. C’est pour cette raison qu’elles ont commencé à promouvoir un nouvel intérêt pour le travail artisanal, contribuant ainsi à en réévaluer le rôle économique et social. Dans plusieurs cas, cet engagement a dépassé le périmètre de l’entreprise elle-même pour soutenir des écoles, des expositions ou des fondations qui ont contribué à relancer la valeur du savoir- faire et une idée de qualité intimement liée au geste éduqué de l’homme. Si tant de maisons de mode et de produits de luxe peuvent aujourd’hui positionner leur produit dans des gammes de prix particulièrement élevées, c’est bien parce qu’au cours de ces années, le lien entre style, concept et savoir-faire a retrouvé toute sa visibilité. Or, la tradition démocratique du design italien rend cette stratégie difficilement envisageable. La contribution du savoir-faire artisanal ne sert donc pas à justifier une qualité supérieure, mais plutôt à démontrer la capacité de la manufacture italienne à promouvoir la variété et la personnalisation, en combinant – sans supercherie aucune – ce qui relève d’un processus de standardisation de type industriel et ce qui émerge en tant que contribution individuelle. En ce sens, l’évolution du design doit aller de pair avec la transformation des PME qui constituent le tissu des fournisseurs. Leur évolution doit mettre en avant des éléments identifier clairement les acteurs ayant contribué à l’évolution de l’ensemble du secteur. Aujourd’hui, nous sommes appelés à raisonner sur les base d’un nouveau fil narratif. Pour des motifs différents. Cette nouvelle narration du design italien s’impose par la nécessité d’expliquer et de raconter la valeur d’un certain nombre d’objets proposés à un marché international toujours plus attentif et informé. Si l’on raisonne aujourd’hui sur le travail artisanal qui caractérise la production de luminaires tels que Mite (et d’autres produits créés dans des circonstances analogues), c’est parce que l’acheteur potentiel d’un produit de qualité veut reconnaître les signes d’une culture matérielle et d’un savoir-faire qui contribuent à donner forme à des objets chargés de sens et d’une perspective historique. Le savoir- faire artisanal qui enrichit et complète le travail du designer est un élément qualificatif du produit que l’Italie porte sur le marché international. Dans un monde où prolifèrent idées et intuitions de toute sorte, où se multiplient les phénomènes d’hackthon et les exercices d’elevator pitch, je dirais qu’il est urgent de rappeler le rôle d’entreprises telles que FAPS, qui sont à même de valoriser et de développer des intuitions et des projets conçus par un designer. La construction d’un prototype est un exercice qui ne se limite pas à contribuer à la qualité du produit final. L’histoire de Mite nous montre bien que, comme dans d’autres projets comparables, le travail de ces artisans participe également à une analyse de faisabilité technique et économique du processus de production. Les produits présentés sur le marché ne se limitent pas à être cohérents et fonctionnels. Ce sont aussi des produits qui restent raisonnables en termes de prix, grâce à des processus et des techniques de fabrication rationnels du point de vue des matériaux et du travail. Qui contribue à donner forme au projet sera appelé par la suite à gérer la production d’un produit en petites ou grandes séries. De l’attention portée à la faisabilité technique et financière de la fabrication dépend la viabilité économique du producteur. Il va de soi que le troisième facteur de succès d’un produit de qualité est le dévouement et le soin que le donneur d’ordre apporte dans le développement du projet. La dyade designer/ prototypeur trouve à la fois appui et entrave en la personne du donneur d’ordre. Cette habileté à faire grandir une idée pour qu’elle se matérialise en un produit nécessite un dévouement qu’il ne faut pas sous-estimer. Le rôle de l’entrepreneur/éditeur est crucial tout au long de la relation entre concepteur et développeur. Les produits innovants passent par un exercice de développement et de définition qui est le fruit de la rencontre entre des perspectives et des savoirs distincts. À l’entreprise qui présentera le produit sur le marché revient la tâche de renouveler constamment l’engagement des parties sans perdre un instant de vue les exigences de la demande, les canaux de distribution et le rôle des médias. Lever le rideau Afin d’expliciter la valeur d’un projet comme Mite et, plus généralement, d’une bonne partie de la production d’entreprises comme Foscarini, il convient de dépasser le binôme entrepreneur-designer pour rappeler sur scène le savoir-faire artisanal qui est à la base du succès d’une bonne part des produits d’ameublement de qualité Made in Italy. Il ne s’agit pas bien sûr de minimiser le rôle des nombreux entrepreneurs et designers qui ont fait l’histoire du meuble en Italie, mais plutôt d’élargir le cadre proposé jusqu’alors pour y intégrer une figure longtemps mésestimée. Le temps est venu de reconnaître la valeur d’un élément capable de caractériser une créativité et une prolificité difficile à expliquer, un facteur qui a permis de réaliser des objectifs économiques autrement difficiles à atteindre dans les formes de l’industrie traditionnelle. Pour une entreprise telle que Foscarini, la reconnaissance et la valorisation du rôle de ses fournisseurs pendant les phases de développement puis de production représentent une démarche significative. Nous avons longtemps pensé qu’il était possible de construire une réputation d’entreprise sans la lier à la dimension du faire. Pendant des années, nous avons considéré la marque, censée synthétiser les valeurs et les aspirations de l’entreprise, comme un véritable rideau : le monde de la production a été complètement occulté au regard du consommateur final, car jugé trop désordonné, complexe, voire même problématique pour être exposé aux feux des projecteurs, au vu peut- être aussi d’une demande internationale. Mais les temps ont changé. Qui achète un objet de design veut comprendre pourquoi tel objet coûte plus cher que tel autre, et les raisons qui justifient sa valeur. Le consommateur ne se contente plus d’une promesse générique de qualité, répétée à l’envi sur les pages de publicité sur papier glacé des magazines. Il veut en savoir plus. En savoir plus sur la qualité effective de tel produit et de tel processus de production. Sur les valeurs et la culture qui ont rendu possible la fabrication de tel objet, sur les personnes et les lieux qui ont participé à sa genèse. Cela ne signifie pas que la marque est un concept obsolète. Au contraire. Ce qui apparaît aujourd’hui comme inexorablement dépassé, c’est la façon dont beaucoup d’entreprises ont construit leur image, en omettant complètement la part d’efforts et de dévouement apportés par un grand nombre de protagonistes déclarés absents de la scène. Dans le monde de l’ameublement, la possibilité de raconter et de souligner toute la passion, le dévouement et le savoir-faire qui ont rendu possible la naissance d’un produit tel que Mite apparaît aujourd’hui comme indissociable de la valeur du projet et du produit en lui-même. Le rideau se lève. Le récit s’anime. Une nouvelle histoire à raconter. Que dis-je, plusieurs. Car chaque produit que Foscarini a proposé sur le marché a connu sa part d’incertitudes, d’erreurs et d’interruptions qu’il vaut la peine de rappeler à l’attention du public. Car toutes ces vicissitudes font partie d’un bagage d’expériences qui constituent l’histoire d’une entreprise, l’origine du soin et de la passion avec lesquels elle fabrique ses produits. Savoir-faire artisanal et modernité Rodolfo Dordoni a été le directeur artistique de Foscarini de 1988 à 1993. Un intervalle de temps trop bref pour imprimer une direction univoque dans la production de l’entreprise, mais suffisant pour lui permettre de développer un certain nombre de produits capables de marquer le parcours de l’entreprise vénitienne. Une période pendant laquelle certains grands noms de l’éclairage ont déjà mis en place des stratégies originales et démontré leur capacité à s’imposer dans le secteur avec des choix forts et innovants. Des entreprises comme Vistosi et Barovier&Toso par exemple avaient déjà élaboré leur empreinte conceptuelle. Une empreinte qui manquait encore dans la production de Foscarini. Il fallait pour cela un produit capable d’imprimer une direction au travail de
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