Catalogo Foscarini Maestrie
199 Mastery 198 Maestrie les coûts liés à l’expérimentation initiale. Ils sont en revanche conscients que ce qu’ils ont appris dans le cadre d’un projet pourra être réutilisé pour d’autres initiatives nouvelles, peut-être même avec d’autres entreprises. Ce que l’on a pu apprendre d’un projet difficile pourrait porter ses fruits dans le prochain. La leçon apprise sur un certain type de produits pourrait donner matière à quelque-chose d’autre, quelque- chose de neuf, pourquoi pas dans d’autres secteurs. Et c’est ce qui s’est produit. Entre les premiers moules d’Aplomb et aujourd’hui, Crea a changé radicalement sa façon d’aborder le marché. Ce qui n’était autrefois qu’une entreprise concentrée sur le secteur du bâtiment est devenue au fil du temps un des leaders de l’utilisation du ciment dans le domaine du design. L’artisan qui construisait villas et immeubles se confronte maintenant avec des moules de lampes, de tables et de porte-stylo. Un changement de cap radical qui suit la capacité d’un groupe à résoudre les problèmes avec une approche innovante, à travers la façon de placer la recherche et la capacité d’expérimentation au cœur de chaque défi présenté par le donneur d’ordre. Après Foscarini, de nombreuses autres entreprises du secteur ont pu bénéficier de la capacité et du génie inventif de Crea. Au fil des années, ces artisans expérimentateurs ont montré combien ils pouvaient contribuer à part entière à la filière du design plus sophistiqué, grâce à des connaissances solides sur un matériau spécifique tel que le ciment, longtemps considéré comme trop difficile et problématique pour la plupart des projets consacrés au monde de l’ameublement. Un projet qui intègre Les entreprises italiennes du design, que nous avons appris à appeler « éditeurs », ont souvent contourné le problème de maîtriser des processus de production propres. Celles qui avaient adopté un modèle organisationnel basé sur le schéma designers indépendants et fournisseurs de qualité, bien que conscientes des avantages qu’elles pouvaient tirer de ce mode d’organisation, ont souvent évité d’agiter ce genre de drapeau. Les raisons de cette pudeur résident dans un héritage historique où l’entreprise verticalement intégrée, capable de grouper production et vente, R&D et distribution, était considérée comme la référence absolue. Plus récemment, le débat économique a contribué à faire émerger un point de vue différent. L’idée d’une entreprise en réseau s’est imposée au point de supplanter définitivement le mythe de l’usine capable d’intégrer en interne toutes les activités de production. Nombre d’entrepreneurs ont pris conscience de l’importance d’externaliser certaines activités de production, dans le souci justement de respecter les parcours de spécialisation et de compétences non réplicables au sein d’une seule et même entreprise. Aujourd’hui, l’idée d’innovation ouverte (en anglais open innovation) radicalise une fois encore cette thèse, conscients que nous somme de ce que le monde regorge de bonnes idées, parfois développées par de jeunes talents indépendants, et de compétences qui méritent d’être valorisées. C’est l’entrepreneur, entouré de son équipe, qui saisit la valeur de ces connaissances et de ces innovateurs ; c’est lui qui traduit ces capacités, parfois embryonnaires, en valeur de marché. La voie que veut suivre aujourd’hui Foscarini va dans ce sens, et même au-delà. L’entreprise s’ouvre depuis toujours au talent des meilleurs designers et valorise les connaissances et le savoir- faire d’entreprises qui ont su préserver et renouveler une compétence manufacturière spécifique. L’objectif est de reconnaître la valeur que ses designers les plus prestigieux ont contribué à créer, et de montrer le rôle et l’importance de ce savoir-faire qui ont promu la qualité et la valeur esthétique de ses produits. À l’égard surtout du dense réseau de fournisseurs de qualité, la contribution de Foscarini promeut la valeur sociale et culturelle. L’entrelacs de relations et de rencontres qui donne vie à des projets aussi ambitieux mérite d’être présenté et apprécié. À tous ceux qui en font partie doit arriver la juste reconnaissance. Les raisons de cet engagement à révéler cette phase cachée de l’iceberg et à partager toutes ces expériences découlent d’une nouvelle idée de la valeur économique. Quiconque achète un objet de design, que ce soit une lampe Mite ou une Tress pour rester dans la sphère Foscarini, n’a pas simplement besoin d’un objet capable d’éclairer. En général, ce n’est pas une solution technique à un problème qu’il recherche. Quiconque s’intéresse à des objets de ce type cherche de nouvelles connexions sociales et culturelles dont les produits sophistiqués et originaux sont le medium. Les objets qui ont rendu célèbre le Made in Italy dans le monde répondent à ce type d’exigences, dans la mesure où ils représentent des connecteurs capables de mettre en relation des sensibilités et des cultures différentes. Plus cette demande – toujours plus internationale et interconnectée – se fait forte et urgente, plus les entreprises doivent apprendre à parler de leur travail et de leur univers. Plus elles doivent se révéler. Les objets qu’elles produisent doivent afficher aux yeux du monde la consistance et la valeur de cette proposition culturelle et de ces liens sociaux et territoriaux. Dans cette perspective, l’engagement de Foscarini s’inscrit dans un parcours entrepris il y a cinquante ans. Le design italien des années soixante a contribué à bouleverser la monotonie de la production de masse en apportant de la couleur et de la variété dans les logiques de la production en série. Au final, la fantaisie et la créativité des hommes reviennent au centre de processus de production autrement dominés par le seul rationalisme technique. À l’aube de la quatrième révolution industrielle, le design italien est appelé à renouveler son « humanisme » en dépassant l’idée selon laquelle la production se résumerait à un défi purement technologique. L’objectif dans ce cas est de réfléchir et de repenser la valeur des objets qui accompagnent notre quotidien, non plus en tant que simples marchandises, mais en tant que trait d’union entre une demande cosmopolite et un monde de personnes et de valeurs qui, à travers leur travail, renouvellent l’idée de qualité et de beauté. La dimension cachée — Manolo De Giorgi p. 078 1. Il y a une remarque d’Enzo Mari qui me revient régulièrement à l’esprit. Une remarque très fine recueillie lors d’une conversation remontant à quelques années. Alors que nous passions en revue les différentes étapes du design italien tout en analysant la part prise par les différents entrepreneurs dans cette réussite, Mari me répétait avec son dogmatisme bien à lui qu’il réfutait la conviction selon laquelle les objets italiens étaient industriels. Pour lui, ils avaient toujours été « pensés pour être industriels, mais produits de façon artisanale ». Une intuition pointue et démystifiante émergeait ainsi de rigueur managériale ainsi que des aspects liés à la fabrication artisanale facilement accessibles. Elle doit permettre de développer une culture numérique à la page, tout en conservant un geste humain à un coût économiquement viable. Plus on exige du projet qu’il intègre des éléments susceptibles d’être réalisé par une main experte, plus les entreprises qui font actuellement partie des réseaux participant à la filière du design seront appelées à repenser leur mode de fabrication. Il s’agit de promouvoir l’automation et la rationalisation numérique tout en développant l’expérience et le geste d’artisans classiques. Il est probable qu’un artisanat raffiné et organisé puisse effectivement nous valoriser aux yeux du reste du monde, dans la mesure où il constitue un trait distinctif dans la conception et l’organisation d’un mode de fabrication différent. C’est notre atout, mais aussi notre limite. Une esthétique de la différence « Lorsque nous avons lancé le projet qui a donné naissance aux lampes Rituals, nous pensions avant tout à une sensation ». Dans son récit sur la genèse d’une des lampes les plus réussies de Foscarini, Roberto Palomba revit tout l’effort d’imagination qui s’est transformé, au bout de deux années de travail, en un objet de verre particulièrement sophistiqué. L’objectif du projet était de développer une lampe capable de générer une lumière vive à même d’accompagner la vie de la maison et de faire office d’antidote contre les préoccupations du monde extérieur. Une lumière éclatante comme seul le verre peut en produire. Le parcours qui a conduit à la mise au point du prototype n’a pas été simple. L’intuition initiale s’est appuyée sur l’expérience de Giancarlo Moretti, fondateur et aujourd’hui encore administrateur de Vetrofond. Le meulage devait permettre à la lumière de filtrer tout en maintenant la cohérence avec l’intuition initiale. Le choix de la couleur, le blanc, a lui aussi représenté une pierre d’achoppement au niveau du prototype comme pour la production en série. Le moulage et les usinages successifs devaient également être en ligne avec un prix de marché qui devait rendre la lampe accessible à un large éventail d’acquéreurs potentiels. Le résultat final, la lampe Rituals présentée dans le catalogue Foscarini de 2013 est l’aboutissement d’un dialogue et d’une confrontation entre personnes partageant la même attention pour la qualité du projet. Ce qui frappe chez Giancarlo Moretti, c’est sa capacité à souder artisanat et organisation d’entreprise, le savoir-faire artisanal et la maîtrise des coûts. La verrerie de Casale sul Sile est un lieu magique où maîtres verriers et employés évoluent tels des fourmis dans une fourmilière, entre les fours et les postes de soufflage comme dans un ballet ininterrompu. On se demande comment autant de personnes arrivent à travailler dans des espaces aussi exigus sans se gêner les uns les autres. Or ces mouvements d’hommes et de cannes, qui surprennent même ceux qui connaissent la vie dans les fours, sont tout sauf désordonnés. Chaque position est occupée par un artisan spécialisé dans un certain nombre d’opérations spécifiques afin de mettre en valeur les dispositions de chacun. Ici et là, on y trouve curieusement quelques expérimentations technologiques capables de remplacer l’homme dans des activités répétitives et plutôt peu créatrices de valeur. Giancarlo Moretti revendique une double primauté. Il sait que le savoir-faire accumulé par Vetrofond est une garantie pour quiconque voudra développer un produit innovant. « Sur cent dessins de nouveaux projets qui arrivent chez Vetrofond chaque année, nous réussissons à en développer quatre-vingt-dix- huit. Dans d’autres fours, on arriverait difficilement à vingt ». L’expérience acquise au cours de cinquante années de collaborations consolidées avec les principales entreprises du design italien a permis à Moretti de se placer en interlocuteur privilégié des concepteurs les plus exigeants. Mais la contribution de Vetrofond ne se limite pas au développement. L’effort insufflé pendant toutes ces années à tous les niveaux de l’organisation fait de cette entreprise un exemple de rationalisme économique d’un point de vue de la maîtrise des coûts et du respect des dates de livraison. Le savoir-faire dont Vetrofond est la dépositaire est organisé et structuré de sorte à en faire un four compétitif sur d’autres techniques d’usinage à caractère industriel au sens strict. On est frappé par l’effort d’amélioration continue et l’attention aux marges de cette entreprise. Car c’est grâce aux efforts consentis sur le plan de l’organisation et de la technologie qu’elle est aujourd’hui à même d’obtenir des produits magiques à des prix accessibles. Une leçon dont l’ensemble de la filière du design doit être fière. Le goût de l’expérimentation « Pas faisable ». La naissance de la lampe Aplomb s’est avérée dans les premiers temps un parcours semé d’embûches. L’expression « Pas faisable » trône encore sur une planche de projet que Lucidi & Pevere avaient envoyée à Crea, la petite entreprise de Darfo où les Aplomb sont aujourd’hui produites en continu. « Pas faisable », c’est ce que Giovanni Piccinelli avait écrit aux enfants Carlo et Ottavio après avoir vu les épaisseurs que les deux designers de Palmanova avaient suggérées pour la première lampe en ciment proposée sur le marché avec de telles caractéristiques techniques. Deux centimètres, c’était trop peu pour les techniques traditionnelles. Difficile de fabriquer un moule adapté, difficile aussi de trouver un matériau qui puisse relever le défi posé par le projet. Crea est une entreprise du secteur du bâtiment, où les ordres de grandeur sont différents, où les poids sont d’une magnitude supérieure, où les moules présentent des formats nettement plus importants. Comment réaliser un objet si petit et si fin ? Giovanni Piccinelli a toujours été un artisan curieux. Un inventeur. Un découvreur. Comme bon nombre d’autres grands artisans italiens, il n’a jamais perdu le goût de l’expérimentation. Tester des mélanges et de nouveaux matériaux a toujours été une passion pour lui. L’art de réaliser des moules est une aptitude que Piccinelli a développée grâce à sa passion et à sa ténacité. Avec l’aide d’un constructeur spécialisé d’abord, puis en autodidacte, consacrant souvent des week-ends entiers à essayer quelque-chose de nouveau. Paolo Lucidi et Luca Pevere l’avaient bien compris : travailler avec des entrepreneurs tels que Piccinelli est un plaisir, où les difficultés deviennent un prétexte pour s’ingénier à trouver des solutions originales. Les défis techniques les plus improbables représentent un excellent motif de discussion et de réflexion. Pour de jeunes designers, la possibilité de trouver des interlocuteurs de ce type est essentielle : des artisans perspicaces savent a priori que les séries de production seront peu nombreuses. Ils ne s’attendent pas à répercuter sur de grandes économies d’échelle
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