Catalogo Foscarini Maestrie
203 Mastery 202 Maestrie monumentale de la fibre de carbone a été poussée et expérimentée sur la Twiggy, une lampe dont la vocation est d’occuper l’espace. Sa tige, qui se plie et oscile, représente en soi une véritable prouesse technique. Pour atteindre les caractéristiques mécaniques voulues pour la courbure, elle est composée de deux pièces. La tige d’environ 320 centimètres comporte la présence dans la partie basse d’un premier élément plus rigide en fibre de carbone et d’un élément en fibre de verre renforcé dans la partie haute, avec des renforts au niveau de l’extrémité. Pour réaliser la tige définitive, 150 échantillons ont été nécessaires, chacun ayant été soumis à une charge de 9 kg pour vérifier la flexibilité et la stabilité de la lampe. Pour les diffuseurs de Twiggy, on utilise un tissu en verre pigmenté avec une résine noire dont l’accumulation doit être savamment dosée et éventuellement nettoyée à la sortie du four pour créer un effet moiré sans produire de taches. Un dernier laquage de la tige exécuté dans l’entreprise FAPS donnera à la lampe son aspect définitif en noir, blanc sale/gris, cramoisi, greige ou indigo. Grâce à la légèreté obtenue à l’aide du matériau composite, Twiggy peut atteindre les 290 cm de hauteur, alors que l’Arco des frères Castiglioni ne dépassait pas les 250 cm. Il suffit de jeter un œil aux poids de ces deux lampes pour prendre la mesure des progrès techniques réalisés pendant toutes ces décennies : 17 kg pour la Twiggy, 64 pour l’Arco. 4. Ce parcours dans les méandres de l’artisanat industriel est à la fois neuf et ancien. Cinquante ans plus tard, Foscarini s’insère dans le même lit de culture du produit creusé à l’époque par Azucena ou Danese, deux entreprises qui jouissent aujourd’hui d’une importance encore plus grande pour le parcours à contre- courant qu’elles ont entrepris. Sans jamais courir après l’idée de produire eux-mêmes et dans leur propre site, ces éditeurs/ producteurs nés respectivement en 1949 (Zucena) et 1957 (Danese) ont roulé leur bosse dans des secteurs industriels et à travers des pôles disséminés à une époque où l’acquisition et la concentration des moyens de production apparaissait l’unique solution possible pour aborder le projet dans une approche moderne. En se faufilant à travers les mailles de l’industrie et de l’artisanat, ils ont échappé à toutes les logiques (on connaît la demande faite par Bruno Danese à un fabricant de tuyaux d’assainissement de couper un tube gris en polypropylène à 30° pour constituer la bordure de la corbeille à papier In Attesa d’Enzo Mari). C’est cette même recherche de l’étape d’usinage à transférer dans le produit de série qui intéresse Foscarini, et il me semble que certaines plaintes des producteurs vis-à-vis de Foscarini pour sa recherche méticuleuse de standards de qualité reprennent celles des artisans de l’industrie qui produisaient pour Danese. Chez Danese, on menait une politique très exclusive et aristocratique concernant les auteurs, une sorte d’autoconscience continue sur le projet (uniquement Mari, Munari et les deux Danese). Chez Foscarini, où le nombre de designers collaborant au catalogue s’élève à environ 33, on s’ouvre à une politique polyphonique. Cette multiplication des contributions fait subtilement pencher la balance du contenu du projet vers la façon de le réaliser en tant que marque essentielle de reconnaissance de l’entreprise. Aujourd’hui, comme le rappelle Andrea Branzi, les réussites « peuvent se produire uniquement à travers l’organisation de dispositifs provisoires », des dispositifs temporaires intelligents qui « évitent toute structure complexe » (2) . Provisoire et intensément manuelle, telle est la dimension de cet artisanat néo-industriel. Le charme de cette recherche intensive basée sur le faire, qui a souvent une évolution peu linéaire et difficilement programmable est le même que celui que l’on peut produire dans un laboratoire spatial de très haute technologie. C’est le concept du travail continu, d’état de modification perpétuelle et de perfectibilité poursuivi jour après jour qui permet d’innover là où la moindre avancée peut être le fruit d’un hasard produit dans un état d’inconscience vague due à cet hyper-faire. Avec les missiles V2 qui s’écrasèrent sur Londres d’abord, puis avec le vaisseau Saturn V réalisé pour la NASA, Wernher von Braun, ingénieur allemand et père de la recherche spatiale la plus extrême, pensait à la recherche dans les mêmes termes qu’un artisan en la définissant comme quelque-chose que « je fais quand je ne sais pas ce que je fais ». Notes bibliographiques (1) Luigi Pasinetti, Dinamica strutturale e sviluppo economico , Utet, Torino,1984, pp. 314-315 (2) Andrea Branzi, Modernità debole e diffusa , Skira, Milano, 2006, p. 53 Mains noires — Gianluca Vassallo p. 156 Je me rappelle mon père lorsque j’étais enfant, qui était penché sur l’établi d’orfèvre, dans la froideur d’une lumière au néon qui inondait ses mains énormes. Et ces mains je les revoie toutes les deux noires, de vieille résine, avec l’une qui tenait et l’autre qui brossait un minuscule cœur assombri par la flamme. Je me souviens de moi regardant mon père entouré des images pieuses de ma grand-mère, accrochées au même clou que le calendrier des Carabinieri, et je me souviens qu’elles étaient à côté des photos de Maradona, au-dessus de celle de ma sœur enfant, qu’elles enduraient le son de la brosse, l’odeur de l’acide, les désirs de ma mère. Je me souviens de ce cœur épuisé par la volonté, qui cédait un peu plus à chaque coup, pour resplendir d’or, entre les mains noires de maestria. C’est ainsi que j’ai photographié l’action patiente de ces âmes attentives, de ces hommes minutieux, les lieux de leur peine, les signes stratifiés, en cherchant dans leurs mains énormes le cœur qui, un geste après l’autre, les illumine de dignité. Les mains de mon père qui, sans l’avoir jamais vu, sans les mots pour le faire, m’a enseigné ce jour à m’étonner du monde. Visions instantanées — Massimo Gardone p. 158 En exécutant les anciens gestes de photographe, je me retrouve moi-même dans ce projet au caractère artisanal très marqué. Les espaces de Foscarini se transforment en set photographique. Un banc optique de 8x10 et des pellicules en noir et blanc instantanées témoignent de la fermeture d’un cycle de production. La nature avant son retour vers Marcon. Bien sûr, Piccinelli a dû s’habituer à un autre monde. Fini le temps où les différences de taille dues aux retraits des modules de construction après le décoffrage se mesuraient en centimètres. Aujourd’hui, les contrôles qualité ont lieu deux fois par mois environ et consistent en des mesures très précises au calibre pour vérifier les épaisseurs du ciment. Un ciment qui se miniaturise aujourd’hui de plus en plus : porte-crayons, tringle de rideaux et jusqu’à la robinetterie, que l’entreprise produit et dont elle suit parfaitement l’évolution. Giancarlo Moretti, l’un des deux propriétaires de Vetrofond, affirme maîtriser tous les usinages du verre et se considère un spécialiste de la technique du Zanfirico, une technique selon laquelle on chauffe plusieurs cannes dans un four avant de les torsader pour obtenir un motif en spirale. Mais chez lui, à Casale sul Sile, on vient surtout « pour souffler ». La célèbre marque Louis Poulsen se sert de Vetrofond à chaque fois qu’elle délaisse ses tôles métalliques et ses globes acryliques pour travailler le verre des plafonniers d’Arne Jacobsen ou les réflecteurs de Verner Panton. Pour souffler et décorer ses verres, elle préfère se tourner vers la Vénétie plutôt que vers les territoires germaniques ou la Bohème. Le rapport entre Vetrofond et Foscarini dure depuis des années et se traduit par 20% de son chiffre d’affaires. Les souffleurs sont tous italiens et leur formation s’étale sur au moins cinq ans. Le travail est organisé en équipes de 3-5 ouvriers qui se spécialisent sur des modèles d’un fabricant spécifique. Ainsi, deux équipes suivent la production de Foscarini. Dans ce cas, les cinq membres de l’équipe peuvent échanger leurs places entre le soufflage et la finition. Après le prélèvement de la masse de verre en forme de poire (la pea en dialecte vénitien), celle-ci est soufflée à l’intérieur du moule. Le processus demeure artisanal et les machines ne servent pas à grand-chose ici. Dans le cas de la lampe Rituals de Ludovica et Roberto Palomba, il faut compter environ trois minutes pour le soufflage et environ dix minutes pour la finition. Pour obtenir le type de finition particulier recherché, à savoir cet aspect gypseux caractéristique capable de faire ressortir l’irrégularité des stries, la lampe est cerclée à l’extérieur et usinée de façon à éviter la présence de tâches et obtenir une répartition uniforme du blanc. Ce n’est que de cette manière que l’on obtient ces tonalités chaudes évoquant le papier de riz (comme dans certaines lampes d’Isamu Noguchi) qui surprennent par rapport à la luminescence typique du verre. Une autre manière de transfigurer l’effet du verre est de recourir à des couleurs ternes qui se fondent plus facilement avec les teintes d’un intérieur. Dans la série de lampes Buds de Rodolfo Dordoni, l’idée est de diminuer l’effet brillant du verre par le recours à des verts, des gris et des marrons, des couleurs volontairement froides qui comportent un dosage difficile pour l’obtention de la teinte des mélanges créés avec l’adjonction de minéraux avec des oxydes de fer. Chaque essai de fusion souhaité par Foscarini, dont la recette est secrètement gardée, est compliqué et comporte pour Moretti des coûts assez élevés si l’on considère qu’il faut compter « environ 100 kg de matériau, le coût du gaz, de la main-d’œuvre et de la perte de production ». Malgré ces difficultés, on sent Moretti animé par la passion. Crea et Vetrofond innovent ainsi dans l’utilisation du matériau qui représente surtout l’inversion d’un effet technique : on demande au ciment de devenir un matériau domestique et de perdre sa connotation un peu grossière ; on demande au verre soufflé de perdre sa dimension flamboyante et de se mimétiser le plus possible avec les tonalités des meubles de série. Le résultat est un dépaysement dans la perception du matériau. Le cas de FAPS se présente en revanche comme un exemple intéressant d’ouverture sur un matériau innovant mais encore peu utilisé et peu présent dans les espaces domestiques tel que la fibre de carbone, traduisant un changement de cap de ses activités autrefois concentrées sur la production de cannes à pêche de compétition. Fidèle à la logique de ce matériau composite, FAPS intègre le domaine de la vitrorésine et de la fibre de verre avec celui des nouvelles fibres de carbone. Pour le propriétaire de l’entreprise, l’ingénieur Maurizio Onofri, cela revient à ouvrir sa production à toute une gamme de produits appartenant à des secteurs les plus divers et à explorer à chaque fois que l’on recherche des composants à la fois légers et performants. C’est ainsi que l’entreprise va se mettre à produire, en plus des cannes à pêche, des roulements pour l’industrie, des cadres de vélo, des produits nautiques tels que des tangons cylindriques, des éclisses pour les voiles et des rallonges pour timon. Tandis qu’avec la fibre de verre, le design n’avait fait l’objet que de rares collaborations (le fauteuil sophistiqué Nena de Richard Sapper conçu en 1986 pour B&B avec une structure en vitrorésine s’était révélé trop complexe pour la production) qui s’étaient limitées aux quelques expériences d’Alias dans le secteur des chaises, il devra trouver, avec ce nouveau matériau composite, une logique spécifique qui ne cherche pas à imiter celle des matériaux précédents. Pour les projets de lampes que Marc Sadler propose à Foscarini, la typologie parfaite pour les évolutions possibles de l’association entre fibres de verre et fibres de carbone s’avère le lampadaire et il fait donc appel à FAPS pour le processus d’expérimentation sur l’éclairage. FAPS travaille alors sur une économie des liens entre ces deux matériaux et sur leur intégration synergétique : la fibre de verre, pour sa grande flexibilité, et la fibre de carbone, plus rigide. Les secrets du composite résident dans le mélange entre le type de fibres et le type de résine avant leur fusion au four. Tress est une lampe dont la matrice « textile » est obtenue par la superposition de cinq bandes de ruban de type et de largeur différents constituant le corps-colonne, avec également de la fibre de carbone au niveau de la base et de la partie supérieure de l’écran de protection du groupe lumineux. Mite est un lampadaire moderne, dont la section conique variable est le résultat de l’usinage d’une surface extérieure de notre époque. À l’atelier de laminage, Fausta et Lia repassent le tissu en fibre de verre (qu’elles- mêmes appellent « peau ») qui sera ensuite appliqué sur le moule en le faisant bien adhérer à la calandre. Un geste archaïque, domestique et très délicat, qu’exécutent aussi parfois les hommes, mais jamais aussi bien qu’elles. Dans un décor de machines-outils haute technologie s’ouvre une phase d’usinage qui rappelle le travail d’une couturière habillant une mariée, un instantané qui nous donne la mesure du temps nécessaire à cette étape de production. Le long filament noir en fibre de carbone viendra compléter la structure en passant dans l’enrouleur, tandis que la version jaune mettra à l’honneur le délicat fil en Kevlar ® semi-fini, plus fragile et produisant plus de déchets. En revanche, la dimension
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